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Les motifs de couleurs observés chez les poissons et autres animaux ont évolué pour réagir à à diverses fins. Photo Lagunatique/iStock via Getty Images PlusLes motifs sur la peau des animaux, tels que les rayures zébrées et les taches de couleur grenouille empoisonnée, remplissent diverses fonctions biologiques, notamment la régulation de la température, le camouflage et les signaux d’avertissement. Les couleurs composant ces motifs doivent être différentes et bien séparées pour être efficaces. Par exemple, en guise de signal d’avertissement, des couleurs différentes les rendent clairement visibles par les autres animaux. Et comme camouflage, des couleurs bien séparées permettent aux animaux de mieux se fondre dans leur environnement. Dans notre recherche récemment publiée dans Science Advances, mon étudiant Ben Alessio et moi proposons un dispositif potentiel expliquant comment se forment ces modèles distinctifs – qui pourrait potentiellement être appliqué aux diagnostics médicaux et aux composants synthétiques. Une expérience de pensée peut aider à visualiser le défi que représente l’obtention de motifs de couleurs distinctifs. Imaginez que vous ajoutez doucement une goutte de colorant bleu et rouge à une tasse d’eau. Les gouttes se disperseront lentement dans l’eau en raison du processus de diffusion, au cours duquel les molécules se déplacent d’une zone de concentration plus importante vers une zone de concentration plus faible. Finalement, l’eau aura une concentration uniforme de colorants bleus et rouges et sera violette. Ainsi, la diffusion vise à créer une uniformité des couleurs. Une question se pose naturellement : comment des motifs de couleurs distincts peuvent-ils se former en présence de diffusion ? Mouvement et limites Le mathématicien Alan Turing a abordé cette question pour la première fois dans son article fondateur de 1952, « La base chimique de la morphogenèse ». Turing a montré que dans des conditions appropriées, les réactions chimiques impliquées dans la production de la couleur peuvent interagir les unes avec les autres de manière à contrecarrer la diffusion. Cela permet aux couleurs de s’auto-organiser et de créer des régions interconnectées avec distinctes couleurs, formant ce que l’on appelle désormais des motifs de Turing. Toutefois, dans les modèles mathématiques, les limites entre les régions colorées sont floues à cause de la diffusion. Ceci est différent de la nature, où les limites sont souvent nettes et les couleurs bien séparées. Les murènes ont des motifs distinctifs sur leur peau. Asergieiev/iStock via Getty Images Notre équipe a pensé qu’un indice permettant de saisir comment les animaux créent des motifs de couleurs distinctifs serait peut-être trouvé dans des expériences en laboratoire sur des particules de taille micrométrique, telles que les cellules impliquées dans la production des couleurs de la peau d’un animal. Mes travaux et ceux d’autres laboratoires ont révélé que les particules de taille micronique forment des structures en bandes lorsqu’elles sont placées entre une région avec une forte concentration d’autres solutés dissous et une région avec une faible concentration d’autres solutés dissous. Le cercle bleu dans ce diagramme se déplace vers la droite à cause de la diffusiophorèse, parce que il est balayé avec le mouvement des cercles rouges se déplaçant vers une zone où il y a plus de cercles verts. Richard Sear/a la une, CC BY-SA Dans le contexte de notre expérience de pensée, les changements dans la concentration des colorants bleus et rouges dans l’eau peuvent inciter d’autres particules du liquide à se déplacer dans certaines directions. Au fur et à mesure que le colorant rouge se déplace vers une zone où sa concentration est plus faible, les particules proches seront entraînées avec lui. Ce phénomène est appelé diffusiophorèse. Vous bénéficiez de la diffusiophorèse chaque fois que vous faites votre lessive : les particules de saleté s’éloignent de vos vêtements bien que les molécules de savon se diffusent hors de votre chemise et dans l’eau. Tracer des limites nettes Nous nous sommes demandés si les modèles de Turing composés de régions de différences de concentration pouvaient aussi déplacer des particules de taille micrométrique. Si tel est le cas, les motifs résultant de ces particules seraient-ils nets et non flous ? En réponse à à cette question, nous avons effectué des simulations informatiques de motifs de Turing – notamment des hexagones, des rayures et des doubles points – et avons constaté que la diffusiophorèse rend les motifs résultants nettement plus distinctifs dans tous les cas. Ces simulations de diffusiophorèse ont permis de reproduire les motifs complexes de la peau du poisson-coffre orné et de la murène bijou, ce qui n’est pas possible avec l’aide de la seule théorie de Turing. Cette vidéo dévoile de petites particules se déplaçant en raison d’un phénomène connexe appelé diffusioosmose. Renforçant encore plus notre hypothèse, notre modèle a pu reproduire les résultats d’une étude en laboratoire sur la façon dont la bactérie E. coli déplace la cargaison moléculaire en elle-même. La diffusiophorèse a abouti à des schémas de mouvement plus spécifique, confirmant son rôle en qualité de dispositif physique derrière la formation de schémas biologiques. Vu que les cellules qui produisent les pigments qui composent les couleurs de la peau d’un animal sont aussi de taille micrométrique, nos résultats suggèrent que la diffusiophorèse pourrait exercer un leadership clé dans la réalisation de modèles de couleurs distinctifs plus largement dans la nature. Apprendre le truc de la nature Comprendre comment la nature programme des fonctions spécifiques peut aider les chercheurs à concevoir des systèmes synthétiques qui effectuent des tâches similaires. Des expériences en laboratoire ont montré que les scientifiques peuvent employer la diffusiophorèse pour créer des filtres à eau sans membrane et des outils de développement de médicaments à faible coût. Nos travaux suggèrent que la combinaison des conditions qui forment les motifs de Turing avec la diffusiophorèse pourrait aussi constituer la base de patchs cutanés artificiels. Tout comme les modèles cutanés adaptatifs chez les animaux, quand les modèles de Turing changent – par exemple des hexagones aux rayures – cela indique des différences sous-jacentes dans les concentrations chimiques à l’intérieur ou à l’extérieur du corps. Des patchs cutanés en capacité de détecter ces changements pourraient diagnostiquer des problèmes médicaux et surveiller la santé d’un patient en détectant les changements dans les marqueurs biochimiques. Ces taches cutanées pourraient aussi détecter des changements dans la concentration de produits chimiques nocifs dans l’environnement. Le travail à venir Nos simulations se sont exclusivement concentrées sur des particules sphériques, bien que les cellules qui créent les pigments de la peau se présentent sous distinctes formes. L’effet de la forme sur la formation de motifs complexes reste flou. De plus, les cellules pigmentaires se déplacent dans un environnement biologique complexe. Des recherches supplémentaires sont indispensables pour comprendre comment cet environnement inhibe le mouvement et gèle potentiellement les modèles en place. Outre les modèles de peau animale, les modèles de Turing sont aussi cruciaux pour d’autres processus tels que la programmation embryonnaire et la formation de tumeurs. Nos travaux suggèrent que la diffusiophorèse pourrait exercer un leadership sous-estimé mais important dans ces processus naturels. Étudier la façon dont se forment les modèles biologiques aidera les chercheurs à faire un pas de plus vers l’imitation de leurs fonctions en laboratoire – une entreprise séculaire qui pourrait profiter à la société. Ankur Gupta reçoit un financement de la NSF (CBET – 2238412) et de l’ACS Petroleum Research Fund (65836 – DNI9).